Le samedi 23 avril 2011 au soir, l’Olympique de Marseille est le premier club à remporter une Coupe de la Ligue deux fois d’affilée, face à Montpellier. Après la remise de la coupe, et alors que le groupe phocéen descend sur la pelouse pour fêter le titre comme il se doit avec les supporters, le buteur du soir et vétéran de l’équipe victorieuse, Taye Taiwo, s’empare du micro du speaker et dans un style littéraire assez proche de son style footballistique (c’est à dire très viril et assez peu correct), entonne un air célèbre à Marseille à la « gloire » du PSG. L’évènement a duré en tout et pour tout douze secondes. Douze secondes pour mettre le monde du football en émoi et rendre Taiwo responsable de la moitié des guerres sur la planète (une enquête serait d’ailleurs en cours pour étudier d’éventuels rapports entre l’accident nucléaire de Fukushima et le chant du nigérian…) alors que pendant le match, des supporters de la Paillade ont envoyé une bombe agricole dans une loge et ont allumé une bonne demi-douzaine de fumigènes…
Le CNE, un comité n’ayant d’éthique que le nom
Créé en 2002, le Conseil National de L’Éthique sert à sanctionner des personnes du monde du football lorsqu’ils osent donner un avis qui n’est pas celui de la LFP. En d’autres termes, il sert à punir ceux qui se retrouvent en marge de la norme et de la bien-pensance, et le tout avec un certaine difficulté à assumer ses décisions (le président a déjà parlé de la collégialité de la sanction possible afin de mieux noyer sa responsabilité et que chacun puisse dire qu’il n’avait pas voulu tout cela). Cela peut aller d’amendes en suspensions de banc, voire jusqu’à des matchs de suspension pour des joueurs.
Le 9 avril dernier, des supporters du PSG se sont affrontés violemment entre eux à Caen en marge du déplacement du club parisien dans la cité normande. Le CNE n’a pas cru bon de parler d’éthique et peu de monde a parlé de ces évènements regrettables et bien plus graves au regard des mots malheureux de Taiwo au Stade de France. Car pour le président du Conseil National de l’Éthique, Laurent Davenas, le chant du nigérian est « irresponsable ». Qu’il nous explique en face en quoi ? C’est vrai que Marco Simone en 1999, le regretté Fabrice Fiorèse en 2003 et Jérôme Rothen en 2006 avaient fait preuve d’un grand sens des responsabilités à l’égard des supporters de l’OM. Rappelons au passage que ce cher monsieur Davenas a fait une grande partie de sa carrière à Paris et siège au sein du conseil d’administration du Paris FC ! Autant dire que l’impartialité du bonhomme peut être soumise à caution sans compter que les autres membres censés avoir une éthique irréprochable sont eux aussi essentiellement des Parisiens d’adoption.
Le philosophe américain, John Rawls, note que dans toute décision de justice chacun devrait s’identifier à l’accusé en prenant en compte l’intérêt de l’Autre comme si c’était le sien. Dans ce cadre, Laurent Davenas aurait-il convoqué Taiwo ? Pas si sûr !
Un retour mal caché à l’Inquisition ?
L’éthique peut se voir comme une réflexion particulière sur la moralité des pratiques. Elle détermine ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire dans certaines circonstances déterminées et peut déboucher sur des règles que l’on se donnerait. Ni absolue, ni normative, ni définitive, ni a priori, elle ne se meut que dans le relatif et le provisoire. Pour résumer, nous pouvons retenir que l’éthique consistera, dans un certain contexte, à faire appel à sa conscience morale afin de se demander si ce que nous faisons est bien, ou si ce que nous avons fait l’était. Jusque-là, a priori, il n’y a rien de choquant et rien qui n’empêche le CNE de s’auto-saisir dès lors que ça lui chante.
Contrairement à l’éthique, la morale peut se définir comme un discours sur le bien, le mal mais aussi les moyens d’y parvenir. Elle est une connaissance de ce qu’il convient généralement de faire. Elle a une valeur sociale normative, voire coercitive. Plus précisément, elle désigne des conduites collectives dont la transgression indignera le sens commun et entraînera des sanctions.
Si l’éthique et la morale ont la même étymologie et qu’elles ont été longtemps synonymes, elles sont aujourd’hui à différencier clairement. En effet, alors que l’éthique est rationnelle, inductive, particulariste et non-normative, la morale est collective, coercitive, déductive et prétend légiférer pour l’ensemble des êtres raisonnables. Quand la morale se veut unique et universelle, l’éthique correspond plus à un engagement individuel et contextuel. Quand la morale commande, juge et condamne, l’éthique recommande, guide et responsabilise. Quand l’éthique dit comment faire quelque chose dans un cas précis, la morale dit quoi faire en toutes circonstances.
La conséquence assez malheureuse de cette différence sémantique est que l’éthique ne pourra avoir qu’un avis consultatif et jamais coercitif. Ainsi si le CNE avait voulu rester « éthique », il aurait pu conseiller à l’OM de sanctionner Taiwo, mais rien de plus. Dans ce cadre, le comité d’Éthique veut aller au delà de ce qui devrait être sa vocation première dans l’affaire Taiwo.
Les médias, ou l’art de creuser après avoir touché le fond
Il est toujours bon de remettre en perspective les actes de ceux qui aujourd’hui vilipendent Taye Taiwo. Antoine Kambouaré qui s’est dit outré par les propos du nigérian et qui voulait « mettre des baffes dans la gueule » de Christian Gourcuff ? Luis Fernandez qui exige des excuses de l’OM mais dont l’attitude sur son banc de touche a souvent été plus que limite ? Robin Leproux qui a demandé l’annulation du match OM – PSG pour une épidémie dévastatrice de grippe A et qui a conduit aux affrontements que l’on connait à Marseille ? Ces trois braves personnages se sont-ils regardés dans la glace ? Ont-ils gardé en mémoire le spectacle que donne le PSG depuis des années, y compris cette saison ? Sont-ils bien placés pour donner ces leçons ?
Tous fourrés à Paris, les médias se sont bien défoulés sur Marseille et le méchant Taye Taiwo. La réponse ne s’est pas faite attendre ce mercredi face à Nice avec l’entrée des joueurs avec ce chant, doré du prestige désormais des bien-pensants parisiens, et qui devrait désormais accompagner tous les matchs de l’OM au lieu de demeurer dans l’anonymat dans lequel il aurait du rester. C’est le retour de bâton et il est bien amer.